M'est revenu à l'esprit cette séquence abrupte du roman =
L'homme à la lourde mâchoire récupérait sa poubelle sur le trottoir. Il jeta un coup d'oeil inquisiteur aux alentours avant de franchir la grille basse qui délimitait le petit jardinet. La maison individuelle au crépi jaune était identique, à peu de chose près, aux habitations voisines : elle sortait du même moule.
La poubelle rangée, il scruta une nouvelle fois la rue de son air méfiant. C'est à ce moment qu'il remarqua l'aveugle aux lunettes noires.
La canne blanche en avant, le menton relevé, un bonnet de ski noir enfoncé jusqu'aux yeux, il passait lentement sur le trottoir d'en face dans son imperméable mastic trop lâche.
De son regard buté, il le suivit un petit moment. Puis tourna les talons.
Il atteignait sa porte d'entrée quand il vit l'aveugle traverser la rue pour revenir vers lui. Son masque se figea. Parvenu devant sa porte, l'aveugle stoppa. Le malabar nota qu'il portait au bras droit un brassard de la Croix-Rouge.
D'autorité, l'aveugle repoussa la grille basse et entra dans le jardinet. Un tronc gris fer avait surgi dans sa main gauche tandis que, de l'autre main, il continuait les moulinets avec sa canne blanche. Il portait des gants de laine claire.
Le puissant maxillaire se crispa, faisant saillir les muscles. Il hésitait. Enfin, il ouvrit brutalement la porte d'entrée.
— Restez-là ! Je vais vous chercher un billet, lança-t-il.
Péremptoire, l'aveugle brandissait le tronc de métal gris.
L'homme entra précipitamment dans son vestibule et fila vers l'une des portes du fond. Il entendit l'aveugle se cogner. Au chambranle de l'entrée ? Il fouillait fébrilement le tiroir de la table de nuit, extirpant son "Manhurin" de service quand la porte de la chambre heurta le mur.
— Tss.. tss... tss... fit l'aveugle.
Trop tard ! La main droite de l'intrus brandissait un très court pistolet-mitrailleur.
— Un "Scorpion" tchèque, enregistra en un réflexe éclair, l'homme piégé.
De la main gauche, l'aveugle lui faisait signe de se coucher sur le faux tapis chinois.
Il laissa tomber sur le lit son arme de service et fit mine de peiner à se mettre à quatre pattes.
L'aveugle rugit de colère.
Sans plus insister, il s'allongea à plat ventre.
L'aveugle rugit à nouveau. D'un geste virulent de la main gauche, il lui ordonnait de se mettre sur le dos. Ce qu'il fit sans barguigner. Alors, il remarqua le silencieux... Sur-le-champ, des gouttes de sueur perlèrent à son front.
L'arme qui le visait pleine face, descendit avec lenteur vers sa poitrine puis son ventre, suivit sa jambe gauche pour s'immobiliser en direction du genou.
Un atroce cri de gorge emplit la chambre. Le corps de l'homme eut un brusque soubresaut. Sa tête versa sur le côté. Un magma sanglant imprégnait le tissu clair du pantalon au niveau du genou.
Soudain, le visage de l'aveugle exprima une angoisse. Sur la table de nuit, il saisit un sous-verre exposant une photo de femme, le porta devant la bouche de la victime... nulle trace de respiration. Un violent geste de dépit lui échappa.
Il tournait les talons quand il se ravisa et revint fouiller le tiroir de la table de nuit : le message y était bien :
FLIC FAUX-TEMOIN : TU VAS PAYER !
Il l'empocha. Ainsi que la douille qui avait roulé sur le tapis. Puis il ramassa la canne blanche, fit disparaître le pistolet-mitrailleur dans sa manche et alla se poster derrière la porte d'entrée.
Une fois dans la rue, il dut éviter un gamin au premier carrefour, de peur que celui-ci l'aidât à traverser.
Si cela vous tente... encore 10 pages à lire aux éditions Hélène Jacob